Le Patrimoine : 
     un enjeu de la citoyenneté européenne

 

        L’attrait pour ce qui a fait la vie des anciens est un souci itératif au cours de l’histoire moderne. Le culte des ancêtres puis la volonté de rendre compte de l’Histoire par Hérodote nous mène loin dans le temps. Au cours du Moyen Age, les reliques des saints, conservées à travers les siècles peuvent être apparentées à la conservation d’un patrimoine ; patrimoine religieux, « objets » conservés dans une volonté de mémoire des actes d’une personne. Le patrimoine est ainsi, ce qui se transmet, de père en fils, de génération en génération et par extension, ce qui peut être légué de communauté à communauté.
        Le XVIIIe siècle est celui des grandes collections que les princes ont constituées dans leur palais. C’est aussi celui de la découverte de Pompeï (1748) qui, sans que l’on sache vraiment de quelle cité il s’agit, est source d’objets antiques qui, très vite, font la joie des amateurs d’art. L’attrait des signes du passé se traduit par les collections. Il n’est pas régi par une volonté de conservation systématique dans le but de permettre aux générations futures de prendre conscience de leur racines et de ce qui a fait les bases de la société, mais simplement par le goût de la collection.
        En France, c’est par la Révolution et ses nombreuses expropriations de biens nobles et ecclésiastiques que la notion de préservation de l’art voit le jour. Une Commission des Monuments, aux pouvoirs de sauvegarde quasi inexistants, est créée ; en 1830, le rôle d’inspecteur des Monuments Historiques apparaît.
Ailleurs, la sensibilité historique est aiguillonnée par des courants nouveaux - Sturm und Drang en Allemagne, « renaissance » du goût médiéval venu d’Angleterre (Walter Scott), romantisme... Partout, la création de collections publiques (musées, bibliothèques) apparaît et se développe. La conservation par la collectivité devient une nécessité culturelle et sociale.
La Première Guerre mondiale amène la réflexion, au vu des nombreuses destructions, d’une réelle nécessité de conservation et de préservation des éléments caractéristiques d’une civilisation.
         Pour l’Union européenne, enfin, les reconstructions d’après-guerre et la notion d’Europe des hommes ne peuvent se passer de la conservation des racines socio-culturelles de chaque peuple. Et à l’heure de l’Europe des régions, la conservation du patrimoine est un moyen important d’intégration au sein de l’Europe par singularisation. Pour Viviane Reding, Commissaire européen chargé de la culture, « la sauvegarde et la promotion du patrimoine d’importance européenne mettent en valeur ce qui constitue le fondement de l’Europe : les racines et courants culturels communs. A cet égard, le patrimoine représente un outil irremplaçable de la conscience européenne et de connaissance de sa culture ».   

          L’origine de cette étude est un état des lieux nécessaire sur la question de la situation du patrimoine en Europe. Chaque état, avant les institutions européennes, a mis en place une politique du patrimoine propre, en fonction de son rapport culturel au passé. A cela, s’ajoutent les dispositions et législations européennes, parallèlement aux législations des Etats.
Comment, dans ces conditions, le patrimoine est-il protégé ? La surabondance et les recoupements de législations amoindrissent-ils les efforts entrepris en matière de protection ? Dans quelle mesure l’économie et la politique rentrent-elles dans les choix du patrimoine ?   
           Pour répondre à ces questions, il convient de dresser un tableau de ce qu’est une politique de sauvegarde du patrimoine et des raisons pour lesquelles sont nécessaires des actions de protection. Puis nous aborderons l’intérêt que trouve l’Europe à intervenir dans un domaine qui relève des affaires intérieures à chaque pays membre, et ensuite l’articulation des actions européennes avec les actions nationales. Puis, nous verrons plus en détail les programmes mis en oeuvre par l’Europe.
Enfin, il s’agira de poser une réflexion sur les perspectives d’avenir d’une politique du patrimoine à l’échelle européenne et sur les conditions de sa réalisation.


 

        La valeur du passé, pour une nation, est perçue au travers des filtres événementiels, culturels et politiques. Chaque pays accorde donc une place particulière à son patrimoine. Au niveau des Etats, le patrimoine sert à asseoir l’idée d’une continuité des régimes, il est l’expression des marques distinctives qui font une nation. Ce point de vue peut être élargi et nous débouchons ainsi sur la construction européenne qui est constituée de multiples cultures au passé et au patrimoine riches. Culture et patrimoine vont d’ailleurs de paire dans la notion de passerelles entre les peuples lorsque ce bagage socio-historique est composé d’éléments des cultures voisines. C’est ce que l’Europe veut mettre en avant dans la formation de l’idée de citoyenneté européenne.
        Les pays d’Europe, grâce à une longue histoire ont conscience de la valeur de leur patrimoine. Des politiques de sauvegarde et d’inventaire existent depuis deux siècles et sont maintenues et dynamisées. L’Europe permet, grâce à ses moyens économiques importants, de favoriser des projets que les Etats ne peuvent pas assumer. L’Europe propose et offre des services (formations, échanges) plus qu’elle n’impose en matière de patrimoine. Elle a ainsi créé un instrument financier souple et simple qui permet la réalisation de projets transnationaux. Cette transnationalité est voulue, afin que les crédits communautaires ne soient pas utilisés à des fins régionalistes.
        D’autre part, le poids du tourisme culturel se fait toujours plus grand. Les voyages sont facilités par l’Europe et le tourisme peut être un atout majeur pour des régions en difficultés économiques.
Enfin, le patrimoine devient une cause internationale avec les campagnes lancées par l’Unesco. L’Europe se tourne aussi en direction des pays de l’est qui posent leur candidature à l’adhésion. Et la mondialisation des échanges culturels ou économiques, bons ou mauvais, orientent le devenir du patrimoine vers un ensemble qui dépasse les frontières géographiques de l’Europe. 
         Le patrimoine est une valeur immuable, mais son support ne l’est pas. Dans un monde toujours plus tourné vers le superficiel et l’instantané, la nécessité de conserver, préserver et transmettre des références solides aux générations futures garde toute son importance. Il est aussi un des liens importants du rapprochement entre les cultures grâces aux valeurs universelles qui s’en dégagent. Une société sans passé n’a pas de repère pour asseoir ses valeurs, l’Europe a donc besoin de rappeler à ses citoyens que les peuples dont ils font partie ont constitué et constitue encore un ensemble vaste à la culture formant une mosaïque aux contours flous.

 


 

TABLE DES MATIERES 


I. Définition et objectifs d’une politique du patrimoine

       A. Définition 
       B. Cadre de l’action patrimoniale et évolution de la notion
       C. Raison d’action et objectifs   

II. Raison d’action européenne
      
A. Les administrations nationales compétentes 
       B. Le rôle de l’Europe
       C. Les moyens internationaux 
  
III. Les différents types d’intervention européenne
      
A. Les actions du Conseil de l’Europe en faveur du patrimoine culturel
       B. Un instrument financier unique : le programme « Culture 2000 » 
       C. « La route des Peuples anciens » : mise en place d’un projet de développement de tourisme rural en Espagne   

IV. Perspectives d’avenir
      
A. Le poids du tourisme culturel en Europe 
       B. Le renforcement de la coopération culturelle 
       C. L’importance de la culture dans le développement européen