L’homme souffrant, Cahiers dolois n°16, Dole, 2000, pp. 249-261. 

L’Hôtel-Dieu de Dole
(XVIIe et XVIIIe siècles)

 

La Franche-Comté et Dole aux XVIIe et XVIIIe siècles

 

      La Franche-Comté, durant la période espagnole (1504 - 1678), bénéficie de la situation d’axe de communication de l’Empire espagnol, et de son voisinage avec la France dont elle conserve la culture. Dole tire profit, en tant que capitale, de la proximité de l’ancien Duché. De ce fait, elle saura se montrer exemplaire aux villes de la France voisine dans un domaine bien précis : la protection de l’homme souffrant.       
       La construction de l’Hôtel-Dieu de Dole se place dans le courant humaniste de la Renaissance et dans celui de la Réforme catholique qui mettent l’accent sur le soin du pauvre. A la fin du XVIe siècle, les structures d’accueil des malades, héritées du Moyen Age, ne sont plus adaptées aux réalités. L’hôpital du Saint-Esprit et la maladrerie située à la Bédugue ne reçoivent plus que quelques malades. En ville, l’hôpital d’Arans (fondé au XIIIe siècle), se destine plus particulièrement aux bourgeois. En 1613, le Conseil Municipal de Dole décide donc qu’un nouvel hôpital est nécessaire pour une population de 880 feux. Les travaux commencent en 1617 au pied de la ville, sur un emplacement désigné par l’Infante Isabelle-Claire-Eugénie  à laquelle Philippe II, son père, a confié le gouvernement de la province. La construction, située au coin des rues Saint Jacques et Beauregard va s’étaler sur tout le siècle à cause des nombreux conflits et désordres que va subir la Franche-Comté.
         En 1636, ce sont les épidémies de peste et les Suédois lancés par Bernard de Saxe-Weimar qui affaiblissent considérablement le pays. Les premières migrations des habitants de la région qui se font en direction de la Suisse et de la Haute-Savoie remontent à cette période de troubles. De nombreuses personnes trouvent aussi refuge dans les multiples grottes qui occupent le sous-sol franc-comtois. En 1668 et 1674, ce sont les troupes françaises de Louis XIV qui ravagent la province pour l’annexer. Après de nombreux combats, actes de reddition et de résistance, la Franche-Comté, deux fois envahie, est rattachée à la France par le traité de Nimègue en 1678.
        La paix revenue, les travaux de construction du nouvel hôpital reprennent avec l’érection de l’aile perpendiculaire au Canal des Tanneurs et se terminent en 1687 avec l’échauguette qui fait l’angle de cet ensemble architectural et qui en donne la date.
        Malgré ces bouleversements, les premiers malades sont accueillis en 1623. Ils sont moins d’une dizaine dans les premiers temps. L’importance des bâtiments ne semble pas en rapport avec ce petit nombre de malades, mais, l’hôpital a été construit dans le but de recevoir les habitants des environs. Après la fermeture des établissements hospitaliers proches de Dole, ce sont les hôpitaux de la Loye et Rochefort qui subissent le même sort quelques années plus tard ; les terres et bénéfices qui leur étaient attachés sont transférés au nouvel hôpital.

 

L’homme souffrant à l’époque moderne
 

         La conception de la maladie a évolué aux cours des siècles. La Renaissance est marquée par un courant venant de l’Humanisme et les idées de la Réforme catholique : la recherche du « Salut personnel » au travers de l’intérêt pour autrui. Au XVIe siècle, mendiants, pèlerins et malades font donc partie des préoccupations. Des services municipaux sont d’ailleurs mis en place pour répondre aux besoins de la société tant en demande d’aide qu’en besoin de réponse à la détresse des plus pauvres.
        La vision de ce qu’est une institution hospitalière n’est pas la même non plus. Après avoir longtemps été gérés par l’Eglise, les hôpitaux sont pris en mains par des laïcs qui se chargent de l’aspect économique. Les soins sont toujours confiés, pour l’essentiel, aux ordres religieux tel l’ordre du Saint-Esprit pour ne parler que du plus connu. Le monde hospitalier prend ainsi une couleur différente de celle du Moyen Age. Dans le rapport avec les malades, c’est en premier le religieux qui est privilégié. L’hôpital est le lieu du soin des âmes avant d’être celui du soin du corps.
        Ceci s’exprime très bien à l’Hôtel-Dieu de Dole, construction décidée juste après les premiers courants développés par la Réforme catholique. La forme des bâtiments, le déambulatoire et son jardin rappellent les dispositions architecturales observées dans les couvents. Le déambulatoire et la galerie qui le surplombe permettent au malade de se ressourcer dans le calme et la méditation. Un autre élément notable de cette orientation au retour sur soi est la présence, au début du XVIIIe siècle, de livres à la disposition des malades dans le réfectoire. Ces livres, de l’ordre d’une quarantaine, sont soit des oeuvres relatant la vie d’un saint, soit des réflexions sur la vie chrétienne. L’hôtel-Dieu possède ainsi quatre tomes de La méditation du pont, Le livre du chrétien en solitude sans oublier l’Introduction à la vie dévote (1609) du Bienheureux François de Sales (1567-1622), champion contemporain de la Réforme catholique dans la Savoie voisine. Cependant, le taux d’alphabétisation étant faible, on peut penser que des âmes pieuses viennent faire la lecture aux pensionnaires.
        Les soins de l’esprit passent aussi par le côté apaisant du travail de jardinage. Les malades sont ainsi autorisés à travailler le lopin de terre qui leur est prêté entre l’hôpital et les remparts. Les malades font donc de l’ergothérapie avant la lettre.

 

Le nouvel hôpital 
 

       Jusqu’en 1663, les malades sont reçus par une gouvernante. Celle-ci est aidée de « serviteurs », et les dames de la société doloise apportent charitablement leur concours. L’hôpital est géré par un collège de directeurs comprenant le Mayeur, le Président du Parlement, deux avocats et deux notables de la ville. Malgré un corps médical d’une certaine importance en raison de l’Université, aucun médecin n’est réellement attaché à l’hôpital, cependant, les Directeurs en désignent un parmi ceux de la ville pour effectuer des visites qu’ils souhaiteraient quotidiennes. Cette astreinte n’est pas toujours respectée - sans doute à cause de l’obligation de gratuité des consultations faites à l’hôpital - et le médecin est alors rappelé à l’ordre. Les médicaments prescrits sont commandés chez un apothicaire dolois. Chaque matin, deux membres du conseil sont désignés pour effectuer une visite des malades et s’assurer que tout va bien.
        En 1663, le conseil de direction de l’hôpital décide que les soins ne sont pas à la hauteur d’une institution nouvelle, qui se veut régionale. Comme la province conserve son attachement à la culture française et ses liens avec ses voisins francophones malgré le rattachement politique à l’empire espagnol des Habsbourg, le Conseil de Direction s’adresse naturellement à la Bourgogne. L’existence d’une communauté d’hospitalières dans la ville de Beaune semble alors la solution la plus adaptée à la réussite de l’institution hospitalière doloise.

 

L’origine médiévale de la Règle des sœurs de Sainte-Marthe 
 

       En 1443, le chancelier de Charles le Téméraire (1433 – 1477), Nicolas Rolin (1377 – 1462), a fait construire un hôpital à Beaune, sur ses deniers, et a fait venir des béguines de Flandres pour recevoir les malades. Or une application trop stricte de la Règle du Béguinage par la Mère supérieure de la communauté ajoute un surcroît de fatigue face à la charge que représentent les malades. Cette situation pousse donc Rolin, en 1459, à écrire lui-même une Règle adaptée à la vie hospitalière.
      Cette Règle s’inspire donc de certains éléments de la Règle des béguines. Les nouvelles hospitalières ne sont pas cloîtrées et peuvent quitter leur charge lorsqu’elles en sentent le besoin. Elles font les trois vœux, obéissance, chasteté, pauvreté, pour le temps qu’elles resteront à l’hôpital. Ce dernier vœu est nuancé par le fait qu’elles conservent leurs biens et peuvent en user comme elles le souhaitent, excepté pour s’enrichir. La Mère supérieure de la communauté, appelée Maîtresse, est élue à vie. Les Directeurs de l’hôtel-Dieu peuvent néanmoins la remercier s’ils jugent qu’elle a fait une faute grave. La Maîtresse est secondée par une sœur appelée Compagne, qui la suit tout au long de son apostolat. Les hospitalières prendront le patronage de Sainte Marthe quelques années plus tard avec l’installation d’une communauté à Chalon. L’Hôtel-Dieu de Beaune est une création royale, ratifiée par le Pape, ce qui lui vaut l’indépendance face aux pouvoirs de l’Eglise. L’institution et sa communauté ne dépendent que du Pape.
      Deux siècles après cette création particulière, l’hôpital de Dole passe un contrat le 17 septembre 1663 avec celui de Beaune pour la cession de quelques sœurs pour fonder une communauté qui prendra les soins des malades en charge.  Bien qu’elles ne soient pas religieuses à part entière, les hospitalières sont désignées par le vocable de sœurs. Elles forment une communauté de femmes, vivant religieusement et encadrées par un aumônier qui reçoit le titre de Directeur spirituel. La différence avec des moniales est leur indépendance face à l’archevêque et surtout la réversibilité de leur vœux qui en fait une communauté à part dans le monde religieux de l’époque et ce, jusqu’en 1939. Les six hospitalières beaunoises, accompagnées de la Maîtresse, sœur Marie Bourgeon et du Directeur spirituel de Beaune, le Père Carmagnolle, sont accueillis lors d’une grande fête dans la ville, le 21 novembre 1663, pour la Présentation de la Vierge.
      Très rapidement, les Directeurs se rendent compte de l’efficacité des nouvelles arrivantes. L’avis de la Maîtresse est sollicité au conseil de l’hôpital auquel elle participe. Elle n’y a cependant pas voix délibérative. Comme les sœurs vivent sur place et sont présentes en permanence auprès des malades, les Directeurs n’effectuent plus leur visite quotidienne.

 

L’Hôtel-Dieu de Dole
 

      L’hôtel-Dieu est un bâtiment imposant qui, dès sa construction, a impressionné ses contemporains. Il nous reste une description de 1667 de l’abbé de Wettinger, dom Joseph Meglinger, de passage à Dole, et qui note la richesse de l’institution doloise tant architecturale qu’au service des malades. Il remarque que les lits, qui sont changés toutes les semaines, sont d’une qualité supérieure à ceux dont les malades doivent disposer chez eux. Il remarque la « magnificence royale » des façades en pierre de taille avec leur balcon décoré « avec art » et les grandes fenêtres. Celles-ci apportent la lumière nécessaire à chasser l’obscurité de l’ombre, cette obscurité qui est liée à l’idée de maladie. Le bâtiment forme un quadrilatère avec une cour centrale, bordée d’un déambulatoire. Le jardin a dû être construit sur des principes hérités des monastères du Moyen Age. Il est ainsi divisé en quatre secteurs égaux qui représentent les quatre Evangiles et abritent chacun des plantes médicinales bien déterminées. Ces jardinets se rejoignent au centre où un puits symbolise la fontaine de vie. L’image du jardin se retrouve dans l’iconographie de l’époque ; en particulier dans la peinture flamande tel Le jardin des Délices de Jérôme Bosch.
Un projet de toit en tuiles vernissées est conservé aux archives municipales. A-t-il été réalisé ? L’abbé, en tout cas n’en parle pas, mais ce type de décoration, qui n’est pas l’apanage de la Bourgogne, a très bien pu avoir été réalisé. Le Palais Granvelle, à Besançon en offre un bel exemple.
      L’hôpital est dirigé par les Directeurs qui, après l’arrivée des sœurs, intègrent le Directeur spirituel de la communauté comme membre à part entière. La Maîtresse et la Compagne assistent aux réunions du conseil de direction de l’hôpital. Le fonctionnement de la communauté dans l’hôtel-Dieu nécessite un effectif d’une douzaine de sœurs. Elles seront treize en moyenne jusqu’à la Révolution. La Maîtresse dirige la communauté, aidée dans sa tâche par sa Compagne et par le Directeur spirituel.
Le caractère d’hôtel-Dieu plus que d’hôpital est réaffirmé après la décision des Directeurs de consacrer les soins « aux pauvres de Dole » (1648), puis par Louis XIV quand il lui accorde ce titre en 1678.  
      Chaque salle importante du bâtiment est désignée sous le terme d’office dont deux hospitalières ont la charge pour trois ans. Elles sont désignées par la Maîtresse qui fait en sorte qu’une jeune sœur en épaule une ancienne et que chacune passe par les différents offices. Les sœurs ont ainsi la charge des quatre chambres des malades, de la chapelle et de sa sacristie, du réfectoire, de la cuisine et du four, de l’apothicairerie et de l’infirmerie.
Les hommes sont placés dans la Chambre Saint-Louis et les femmes dans la Chambre Notre-Dame, salles qui sont situées perpendiculairement l’une par rapport à l’autre. Cette disposition permet aux malades d’assister, depuis leur lit pour les plus faibles, aux messes données dans la chapelle placée à l’intersection des deux salles. L’habitude, héritée du Moyen Age, de coucher deux personnes dans le même lit semble avoir cours à Dole. A ses débuts, l’hôpital peut donc accueillir quelques quatre-vingt personnes. Les personnes aisées sont logées dans une petite chambre, payante, où il n’y a que trois ou quatre lits et où les malades sont seuls dans leur lit. La séparation des sexes est respectée ici aussi : la Chambre Saint-Joseph pour les hommes et la Chambre Sainte-Marthe pour les femmes.

 

 Les malades admis à l’hôtel-Dieu 

 

     Ces malades, jusqu’en 1668, sont essentiellement des dolois et des habitants de la région. Ils sont accueillis par la Maîtresse qui juge elle-même s’ils peuvent être admis ou non. Les femmes en couches, ou les malades atteints de maladies vénériennes et contagieuses se voient refuser l’entrée à l’hôpital. Ce type de maladie est soigné à domicile. Les Dames du Bouillon leur rendent visite et facilitent les soins.
     Pendant les offensives françaises de 1668 et 1674, de nombreux soldats sont reçus à l’hôpital. Leur nombre est si important que les sœurs sont obligées de céder leur dortoir pour laisser la place aux 500 puis 1100 soldats tant français que franc-comtois de ces deux campagnes militaires. L’hôpital est littéralement envahi, les blessés s’entassent sur des couchettes et sont opérés par les chirurgiens au milieu de tous. Ceux-ci opèrent sur ordre des médecins et ce, dans des conditions effroyables pour les blessés car l’anesthésie n’existe pas encore. Lors des guerres, par manque de moyens anti-infectieux, la mort est très souvent due aux contaminations entre malades et il peut, de la même façon y avoir transmission au personnel. A chacune de ces campagnes, une sœur décédera des suites de la fatigue et des maladies contractées pendant ces heures difficiles pour l’hôpital et sa communauté.
      Un mortuaire nous permet de dresser un portrait des malades qui séjournent à l’hôtel-Dieu. A titre d’exemple, sur une période de 18 ans (1751-1769), 1020 civils y décèdent représentants tous les corps de métiers. On retrouve ainsi beaucoup de métiers liés à l’agriculture et au bâtiment tels une centaine de vignerons, trente-deux laboureurs, des manœuvres, des charpentiers, des couvreurs et des tailleurs de pierre. Parmi les métiers typiquement urbains, on retrouve sur cette même période, une trentaine de cordonniers, quatre perruquiers, deux boulangers, un curé et deux domestiques. Il y a les métiers du livre avec deux libraires, autant de maître-écrivains, d’imprimeurs, de recteurs d’école et d’étudiants. Enfin, parmi les métiers d’importance, un substitut du Procureur et un échevin sont décédés dans les murs de l’hôpital. Pour citer quelques chiffres, un tiers des malades cités dans ce mortuaire sont des femmes, un malade sur dix est étranger à la province ; et la profession - des hommes ! - nous est connue dans la moitié des cas, représentant 106 métiers.
     Après l’annexion de la province, l’hôpital est obligé de recevoir les militaires français par décision royale. L’hôtel-Dieu n’a pas pour destination d’accueillir ce type de malade parfois porteur de maladies contagieuses et dont l’entrée aurait été refusée. Très vite d’ailleurs, comme la Franche-Comté est une province nouvellement conquise et frontalière, de nombreuses troupes la traversent ou y stationnent apportant leur lot toujours plus important de blessés. A tel point que les populations se plaignent de ne pouvoir être reçues, faute de place. En 1688, sur 102 malades, 80 sont des militaires ! Ce problème de place subsistera jusqu’en 1840 et en 1773, des soldats décèdent aux portes de l’hôpital sans avoir reçu l’extrême-onction.
     D’autres problèmes se posent avec la présence d’une population habituée au mouvement et à la vie de régiments. Les sœurs sont parfois amenées à se plaindre aux autorités militaires du manque de respect de certains soldats, des vols sont commis dans leurs effets personnels. En 1747, un soldat admis à l’hôpital pour une blessure à la tête sort tous les jours pour rejoindre ses camarades restés à Auxonne et y mener une vie agitée impropre à son état. A tel point qu’il décède à l’hôtel-Dieu quinze jours après son admission ! Une enquête est ouverte, l’autopsie du soldat est réalisée pour savoir s’il est décédé de sa blessure ou de son régime de vie. Les sœurs sont accusées d’avoir voulu dissimuler son décès et sont convoquées au tribunal de Dole. Les sœurs, peu habituées à ce genre de situation, ne sortant quasiment jamais de l’hôpital, refusent de se présenter devant le lieutenant criminel et doivent payer une amende ! Les Directeurs font alors appel au chancelier d’Aguessau qui règle l’affaire, assurant les sœurs de sa satisfaction quant à leur gestion de la vie hospitalière.

 

 La vie quotidienne à l’hôtel-Dieu
 

      Chaque matin, à six heures, les sœurs ouvrent les portes de l’hôtel-Dieu et réveillent les malades pour assister à la prière du matin. Les hospitalières assistent ensuite à une messe de communauté puis déjeunent dans le réfectoire qui leur a été attribué peu de temps après leur arrivée à l’hôtel-Dieu. Vers 10 heures, un dîner est servi aux malades, il est généralement constitué d’un potage et d’un bouilli. Il est servi au lit pour les plus faibles, les autres le prennent dans le réfectoire des malades qui jouxte la cuisine au rez-de-chaussée, près de l’entrée principale. Un peu moins d’une centaine d’écuelles d’étain et autant d’assiettes de même matière sont à l’inventaire en 1758. On retrouve, entre autre, cent-trente plats « pour la portion des malades », deux « tourtières à faire des oeufs », deux réchauds et un coquemart et quelques cinq douzaines de tabliers dans l’inventaire de la cuisine. Les sœurs prennent leur repas un peu avant midi. Au souper est servi un ragoût fait des « reliefs du diné et du bouilli du matin » ! Pour améliorer cet ordinaire, les sœurs consacrent volontiers leur temps libre et leur argent personnel : elles raccommodent les vêtements usés et distribuent des friandises.
      Un médecin est chargé de visiter tous les malades, matin et soir. Il prescrit le matin les traitements nécessaires, qui sont consignés dans un livre, tenu par la plus ancienne des deux hospitalières chargées de la salle, qui est ensuite porté à l’apothicairerie où les médicaments sont fabriqués. Ceux-ci sont ensuite distribués aux alentours de midi. Les hospitalières sont tenues, lors de leur passage à l’apothicairerie, de parfaire leurs connaissances en matière pharmaceutique au moyen de deux livres, enregistrés dans l’Inventaire des Biens et Meubles de l’Hôtel-Dieu de Dole.
      Grâce à cet Inventaire et aux contrats de travaux de réfection, nous pouvons donner une description des pièces tant en ce qui concerne les meubles qu’au niveau des couleurs dans lesquelles les malades évoluent. Les plafonds et les galeries sont ainsi peints « à la brousse » en blanc (le matériau n’est pas indiqué). Les grandes salles, chambres Saint-Louis et Notre-Dame, comportent chacune une vingtaine de lits et ont les murs peints en ocre avec les joints en blanc. Un numéro peint dans un cadre doré est placé sur chaque lit. En 1722, on retrouve 32 numéros pour 36 lits, ce qui porte la capacité d’accueil de l’hôpital à près de cent cinquante « places ». Des rideaux de serge jaune permettent d’isoler les malades et de les maintenir au chaud en hiver dans ces grandes salles qui se chauffent difficilement. Les lits des chambres Saint-Joseph et Sainte-Marthe sont tendus de serge rouge. Dans chacune, un coffre commun permet aux malades de ranger leurs effets. Deux tables et des chaises sont en outre présentes dans les grandes chambres, ainsi que deux garde-robes. Dans les petites cheminées, petites par rapport aux dimensions des salles, des réchauds permettent de maintenir le bouilli à bonne température. La chaleur est obtenue par des réchaud, des chaudières, des chauffe-lits et par des couvertures dans les lits fermés. L’hôpital acquiert chaque année des réserves de bois et de charbon provenant des charbonniers de la forêt de Chaux. Des robes de chambre et des bonnets de nuit sont d’ailleurs prévus pour les malades. Les salles bénéficient de grandes fenêtres qui apportent de la lumière, mais semblent tout de même générer beaucoup de problèmes. La salle des hommes, donnant sur le canal est orientée plein sud, et en été, ces grandes ouvertures rendent la salle irrespirable. Les femmes ne semblent pas mieux loties puisque avec la construction de la chapelle des Dames d’Ounans, elles ne reçoivent, au contraire, que peu de lumière !
De grands tableaux de scènes religieuses ornent les grandes salles. Un tableau de Saint Louis est d’ailleurs commandé en 1692 au peintre Claude-Antoine Aillet.

         Ce panorama de l’Hôtel-Dieu de Dole, la vie quotidienne qui s’y déroule aux XVIIe et XVIIIe siècles, les malades qui s’y sont succédés, ne peut s’achever sans parler plus particulièrement des hospitalières qui en ont fait l’âme même.
        Les premières sont venues de l’Hôtel-Dieu de Beaune, mais très vite, leur renommée a gagné la province et surtout la ville où leur action a créé des vocations. Les hospitalières viennent très souvent du monde parlementaire ou de la Chambre des Comptes. Rappelons que, malgré leur origine aisée, elles n’ont pas à apporter de dot lors de leur entrée dans la communauté.
On retrouve ainsi des filles de membres de la Chambre des Comptes comme sœur Elisabeth Mouillet, fille d’un greffier, Margueritte-Françoise Lachiche, d’un procureur ; du Parlement avec Claude-Thérèse Attiret dont le père y est avocat et architecte et de la bourgeoisie doloise. Des liens familiaux se retrouvent d’ailleurs entre les hospitalières, ainsi, la famille Attiret a des liens spirituels (parrains, marraines) avec les familles Lachiche, Chupiet et Gelyotte. La famille Chupiet cousine avec les familles Mouillet et Raclet tandis que les familles Cugnet et Romette sont cousines.
       Quelques mots enfin pour donner un aperçu de la vie à l’hôpital pendant la période révolutionnaire, à la mesure des documents existants.
 En 1789, la communauté est constituée d’une quinzaine de sœurs, cinq la quittent l’année suivante, très vite remplacées par les hospitalières obligées de fuir l’hôpital de Lons. Des esprits échauffés leur créent quelques désagréments mais elles sont protégées par les Directeurs. Elles doivent tout de même quitter leur habit à la fin de l’année 1792 pour le récupérer sous le Premier Empire. En 1801, elles sont un douzaine dans la communauté, dont la moitié a résisté aux événements et était présente avant 1789.

 

 Conclusion
 

     Grâce à cette nouvelle institution qu’est l’hôtel-Dieu, la région doloise bénéficie d’un centre de soins et d’accueil de qualité. Les malades sont mieux logés (malgré le couchage par deux) et mieux nourris que chez eux. La communauté de Sainte Marthe veille de plus, maternellement, jour et nuit, sur ces êtres affaiblis et souffrants.
     L’hôtel-Dieu est symbolique de cette période, qui fait suite à la Réforme catholique, grâce aux motivations qui ont conduit à sa construction, à la communauté hospitalière et aux structures d’encadrement laïc. A l’époque moderne, le rôle d’un hôpital n’est pas seulement celui de guérir les maladies mais aussi de soigner l’âme. Tout dans l’Hôtel-Dieu de Dole y concourt : de l’architecture à la communauté hospitalière en passant par la conception architecturale, le jardin et même les livres à la disposition des malades.
L’hôpital s’est maintenu en activité malgré les vicissitudes du XVIIe siècle franc-comtois. Les malades ont néanmoins subi la présence, envahissante et grandissante, des militaires à partir de 1678 mais les événements de 1789 n’ont que peu affecté l’hôpital et sa communauté.
     Nous pouvons dire que, grâce au mérite des femmes qui ont oeuvré à l’hôtel-Dieu, l’homme souffrant du pays dolois a bénéficié de ce qui se faisait de mieux en matière d’encadrement hospitalier et saluer par là-même la longévité de cette communauté qui sera restée au service des malades jusqu’en 1973. Ces hospitalières, qui bénéficient d’une Règle originale, sont l’âme de l’hôpital par leur présence et leur action. Elles font le lien entre le monde laborieux dans ses moments de fragilité et les dirigeants de la ville. On peut, grâce à elles, imaginer l’hôtel-Dieu comme un lieu de rencontre de la vie urbaine en même temps qu’un îlot de soins et d’attentions à l’homme souffrant.
     Aujourd’hui, l’hôtel-Dieu change de destination avec l’ouverture récente de la Médiathèque, mais une certaine continuité est conservée avec la notion de soin : après avoir été dédié aux soins du corps et de l’âme, c’est à celui de l’esprit qu’il est désormais consacré.